Une histoire de la route du col du Galibier
Les travaux routiers relatifs au col du Galibier décrits ici se sont déroulés sur une période assez longue, allant des années 1870 aux années 1930. L'auteur s'est efforcé de n'utiliser que des sources d'époque et de les citer. Il en "découvre" régulièrement d'autres depuis la première publication de cet article, qui conduisent à le modifier ou le compléter. D'éventuelles d'informations supplémentaires sont bienvenues.
La plupart des écrits anciens s’intéressant au passage du col sont d’origine militaire, en relation avec les nombreux conflits franco-savoyards. Pour les besoins des opérations de la Guerre de succession d’Espagne conduites par le maréchal de Berwick, ce dernier fit tracer en 1709 par ses ingénieurs un chemin lui permettant de hisser au col son artillerie de campagne. Cet itinéraire passait déjà par la Mandette. Dans un mémoire de 1721, La Blottière rappelle que “L’armée du Roy a souvent passé par le col du Galibier, quoy que mauvais pour les équipages”. Ce chemin (en partie remanié sous le premier empire) subsista, à l’état de sentier muletier, jusqu’au 19ème siècle. Une source moderne est constituée par le guide intitulé “Itinéraire descriptif et historique du Dauphiné”, publié pour la première fois en 1863 par Adolphe Joanne. Il nous donne en quelque sorte l’état des lieux au 19ème siècle avant le début des nouveaux travaux routiers. Il indique que le trajet “du Monêtier à Saint Michel par le col du Galibier” se fait “par un sentier de mulets [et qu’] un guide n’est pas indispensable“. Le col est très fréquenté par les botanistes, les géologues et de simples promeneurs.
À l’époque qui nous intéresse, on peut grosso modo classer les principales routes des Alpes dont la construction est envisagée en deux catégories : d’un côté, celles que le Ministère de la Guerre a classées comme stratégiques, pour lesquelles il fournit des subsides et éventuellement de la main d’œuvre. Et de l’autre, celles dont il ne veut pas entendre parler (le cas de l’Iseran est l’exemple le plus connu). Si la route du Galibier a eu très tôt la chance de faire partie de la première catégorie, c’est en raison d’un changement de pied du Ministère de la Guerre, dont le Conseil général de Savoie se fait l’écho en 1864 : "Les études de reconnaissance faites dernièrement par les ingénieurs des ponts et chaussées dans le but de diriger par le col du Galibier et Valloires la route stratégique qui devait suivre d’abord la vallée de l’Arvan et traverser la chaine des Alpes de Maurienne par le col de la Gouille [col des Prés Nouveaux] ont actuellement amené la suspension des opérations déjà fort avancées sur le terrain de la section de Saint Michel à Valloires par le col intermédiaire des Trois Croix“. Cette suspension s’explique par le fait que ces opérations, présentement à la charge des collectivités locales, passeraient à la charge du Ministère de la Guerre si la voie était classée stratégique. La même année, le Conseil général des Hautes Alpes indique, à propos de la même information : “Il est question d’établir une route impériale stratégique de Briançon à Saint Jean de Maurienne, par le Galibier. Napoléon 1er, qui avait compris toute l’importance de cette voie, en avait prescrit l’étude, et il existe encore des vestiges des travaux entrepris alors sous l’inspiration impériale.”
Il se passe néanmoins quelques années avant que la décision définitive soit prise, pendant lesquelles les départements et communes concernées réitèrent leurs souhaits de clarification rapide.
Le premier accès routier et les premiers projets de modification
Nous trouvons la genèse de la route carrossable sur le versant sud dans une délibération du Conseil général des Hautes Alpes en 1875. Elle contient un texte intitulé “Chemin stratégique du Galibier” qu’il nous faut citer quasi intégralement : “Pendant la campagne de 1874, des travaux ont été exécutés sur la partie du Galibier qui se trouve sur le versant des Hautes Alpes. La dépense s’est élevée à 11.990 fr. Celles qui restent à faire pour le complet achèvement ont été évaluées à 23.000 fr.” Le financement est assuré par des fonds de l’administration de la Guerre, et la fin des travaux est prévue “vers le mois d’août 1876″. Au vu des dépenses, on peut donc estimer qu’environ un tiers du travail est fait. Ce travail correspond à la partie amont du projet, et ce qui reste “entre les chalets de la Mandetta (sic) et la route nationale n° 91” n’est pas le plus facile. On envisage deux options :
1° On peut suivre, en le rectifiant légèrement sur quelques points, le chemin actuel qui n’est autre que le chemin ouvert, il y a 150 ans, par le maréchal de Berwick.
2° On peut adopter un tracé qui traverse deux torrents, par le plateau de la Marionnaise, et aboutit à la route nationale, près l’hospice du Lautaret.
On nous précise que la seconde option est soumise “à la condition expresse et absolue que les propriétaires des terrains traversés feraient unanimement la cession gratuite des terrains nécessaires“. Ce qui n’est pas gagné car, poursuit le rédacteur, “M. le Maire du Monêtier m’a fait connaître que 31 propriétaires ont refusé de céder gratuitement les terrains nécessaires à l’établissement de la route.” Le texte aborde ensuite la question du classement de la route. Le Conseil a déjà décidé (24 octobre 1874) le principe du classement du chemin du Galibier comme route départementale, mais sous la double condition que le département de la Savoie en fasse autant (pas gagné non plus, beaucoup reste à faire côté nord) et que l’État assure l’achèvement et l’entretien de cette route.
En outre, il pourrait s’avérer plus intéressant financièrement de “classer le chemin dit du Galibier parmi les chemins vicinaux ordinaires de la commune du Monêtier” et de le ranger, une fois la rectification terminée, “parmi les chemins de grande communication hors classe“.
C’est ce dernier choix qui semble avoir été adopté. Et, concernant le tracé, on a choisi la première option. Mais la deuxième ne fut pas oubliée pour autant, et nous la verrons ressurgir avec insistance au siècle suivant.
Un second guide touristique du à d’Adolphe Joanne, consacré au Jura et aux Alpes, est publié en 1877. Il décrit le trajet de Saint Michel à la route du Lautaret. Le parcours présenté
Carte de la route du Galibier (ouvrage militaire de 1884)
commence par l’ancien chemin muletier très raide, qui rejoint “la nouvelle route stratégique, achevée jusqu’à Valloire“. Entre cette localité et le col du Galibier, il n’est question que d’un chemin, dont l’état n’est pas précisé (il est qualifié de “très mauvais” dans l’ouvrage suivant). Mais une fois au col, “on trouve la nouvelle route stratégique qui, descendant en zigzags le versant E. d’un vaste ravin de pâturages, passe près des cabanes de la Mandette. On rejoint la route du Lautaret, dont on aperçoit l’hospice, près du pont sur lequel cette route franchit le petit torrent du Galibier.” Il semble donc, au vu des dates, que le “planning” (fin pour l'été 1976) des travaux envisagé par le Conseil général ait été respecté.
En 1882, le capitaine Ch. Clerc publie un ouvrage sur les Alpes françaises, sous-titré "Études de géologie militaire". Il nous confirme que [le chemin de Saint Michel au col du Galibier] “devient praticable aux voitures, du col à la route du Lautaret, [et nous précise qu’] on s’oppose aux demandes de la population qui réclame la mise en état de toute la route, cette mise en état ne pouvant être avantageuse que pour l’ennemi.” L’interdit porte en fait sur une section proche de Saint Michel, entre Saint Martin d’Arc et les Sapeys d’en bas.
En mai 1884, le “Service spécial de géographie” du Ministère de la Guerre édite un ouvrage intitulé “Voies de communication de la Maurienne”, probablement réservé à un public militaire.
En montant vers la Mandette, en septembre 1979
Les informations contenues dans ce livre proviennent de reconnaissances effectuées sur le terrain par des officiers, à des dates qui nous sont précisées. Concernant le Galibier, elles ont eu lieu entre 1879 et 1881. On peut y lire : “Le col est traversé par la route départementale N°9, large de 3 m. 50 en moyenne qui, au col même, passe dans une tranchée. Elle met en communication la route nationale du Lautaret avec Saint Michel. Cette route s’arrête au-dessus de Saint Michel, au débouché du tunnel de Lachera [sans doute pour “La Serra”, hameau voisin] , et se continue par un sentier muletier très large sur Saint Michel.” La mention de route départementale avec un seul numéro est surprenante, car le col relie deux départements. D’autre part, on peut voir l’ensemble du trajet, alors entièrement routier, figuré en chemin de grande communication sur une carte de 1904. Le tunnel en question (appelé par la suite “tunnel du Télégraphe”), long d’une centaine de mètres, a été percé à l’altitude de 1500 m. environ, à proximité d’une maison cantonnière.
Vue sans doute prise à proximité du 4ème lacet, au début du siècle
Depuis la destruction de ce tunnel au cours de la dernière guerre, la route passe au col éponyme. On note encore l’appréciation et l’information suivantes : “Les pentes de la route sont mieux aménagées sur le versant nord que sur le versant sud où, du reste, les lacets seront soumis à un nouveau tracé qui doit en diminuer le nombre en même temps que la rapidité.” D’autres sources confirmeront l’existence de ces projets d’adoucissement. Mais, en comparant la carte militaire précédente à la carte IGN actuelle, sur laquelle la route ancienne est figurée (un trait plein), on n’a pas l’impression qu’ils aient été réalisés. Le changement, beaucoup plus radical, viendra plus tard. Enfin, on peut lire dans la colonne “observations” : “Un tunnel établi à hauteur du 8ème lacet du versant nord augmenterait la valeur de la route et assurerait, à partir du mois de mai, les communications entre les deux versants. Il n’aurait pas plus de 500 mètres de long.“
À proximité (un peu au dessus) de la Mandette en 1979
Cette idée fut retenue. En effet, le Conseil général des hautes Alpes nous apprend (1886) que “La construction d’un tunnel sous le col du Galibier a été demandée par M. le Ministre de la Guerre, qui a adopté le projet présenté par le service vicinal“. Ce tunnel, long de 363 mètres, fut effectivement percé (achevé en 1891). Il est toujours en service aujourd’hui, après une longue période de fermeture pour travaux. Cette date (1891) est souvent considérée comme étant celle de l’ouverture de la route du col. À cette époque le général Berge, gouverneur militaire de Lyon de 1889 à 1893, est aux manettes comme “organisateur des troupes alpines et créateur des routes stratégiques des Alpes, que les alpins contribuent à construire“, suivant l’expression utilisée dans la présentation du général par le musée militaire de Lyon. Il est donc compréhensible qu’une partie du mérite de la création de la route du Galibier lui soit parfois attribuée.
Assez rapidement, la route montre ses limites sur le versant sud : “Ce chemin n’a qu’une largeur de 2 m. 50 à 3 mètres sur la moitié de son parcours, et de 4 mètres environ sur l’autre moitié. Toute la partie comprise entre la route nationale N° 91 et les châlets de la Mandette est établie à travers des terrains argileux très humides, les rampes sont excessives et la largeur ne dépasse guère 2 m. 50” (Conseil général des Hautes Alpes, 1889). Il semble qu’on regrette d’avoir du renoncer à la deuxième option de 1875.
Sur la photo ci-dessus on aperçoit, de l’autre côté du ravin au fond duquel coule le torrent du Galibier, la nouvelle route au retour de son périple dans le vallon de Rochenoire.
Véhicules à proximité du tunnel du Galibier (vers 1920)
Malgré une âpreté certaine, la route du Galibier connut rapidement un certain succès touristique, et des transports réguliers de voyageurs furent organisés avant la fin du 19ème siècle. Dans un récit paru dans l’annuaire de 1895 de la Société des Touristes du Dauphiné, le voyageur et alpiniste W. A. B. Coolidge évoque “les breaks avec lesquels ont court maintenant en 6 heures du Lautaret à Saint Michel de Maurienne par le col du Galibier, en correspondance avec les trains du chemin de fer P. L. M.”
Les premiers cars alpins font leur apparition quelques années plus tard. Il s’agissait de petits véhicules automobiles, capables de transporter de 10 à 15 voyageurs (nous en voyons un sur la photo ci-dessus). Dans son guide “Savoie” paru en 1908, Paul Joanne signale l’existence d’un “service de cars alpins du 1er juillet au 30 septembre” passant par le col. Ils n’allaient pas beaucoup plus vite que les breaks évoqués par Coolidge. Les automobiles et les cars alpins, peu puissants et braquant mal, devaient avoir beaucoup de difficultés sur ce parcours. C’est sans doute ce qui explique l’émergence de nouveaux projets d’aménagement dans les années suivantes, portant sur des élargissements ou ou des changements de tracé.
L’ancienne route dans sa partie supérieure ( © Gérard Galland)
Dès 1910 et sans doute avant, des écrits font état d’un projet de contournement de la partie de la route en aval de la Mandette, qui cumule “des virages à angle aigu et des pentes de plus de 15 p. cent” (Revue Omnia, 30 avril 1910). En revanche, l’aménagement de la partie haute, dont la vue récente (2013) ci-dessus montre un aspect, devait paraître jouable, car on n’envisage de ne modifier que la partie basse. En effet, on peut lire ensuite : “La route [projetée] devrait partir du col même du Lautaret (…), franchirait le ravin des Roches Noires et rejoindrait la route actuelle au-dessus des châlets de la Mandette (…)” (ibid.). On reconnaît ici la deuxième option évoquée par le Conseil général des Hautes Alpes 35 ans plus tôt. Localement, on s’implique financièrement dans ce projet : “La municipalité du Monétier les Bains a voté des fonds pour la participation de la commune à ce travail ; M. Bonnabel [propriétaire d’un hôtel au Lautaret] y a souscrit aussi personnellement, pour une somme importante” (ibid.). L’auteur connaissait bien les lieux et leurs difficultés, ayant lui-même parcouru en compagnie de sa bicyclette l’intégralité de la future “Route des Alpes”, cols de l’Iseran (alors muletier) et de la Croix du Bonhomme compris.
Le 5 avril 1912, une loi classe, sous la dénomination de route nationale N° 212, une voie allant de Thonon à Nice, composée de portions de route déjà existantes ou à construire. La “Route des Alpes” acquiert ainsi un statut officiel. La partie qui nous concerne ici est sa section comprise entre Saint Michel et la route du Lautaret, composée des chemins de grande communication N° 14 (en Savoie) et N° 3 (dans les Hautes Alpes). Il est probable que ce changement de statut s’accompagne d’exigences plus élevées en matière de viabilité.
En juillet 1913, on peut lire dans la Revue du Touring-club de France : “M. Trouïs, ingénieur des Ponts et Chaussées délégué à Saint Jean de Maurienne, nous informe que les travaux d’élargissement de la Route des Alpes, dans la partie comprise entre la barricade des pestiférés [vers la fin du replat qui précède Bonnenuit] et le tunnel du Galibier, ont été adjugés le 5 juillet. Le devis prescrit aux entrepreneurs d’assurer la circulation aux automobiles pendant la durée des travaux“. Le T. C. F. y ajoute néanmoins quelques conseils de prudence. Les travaux démarrent sans tarder car la revue du T. C. F. de septembre de la même année nous apprend que “dans la partie comprise entre la barricade des pestiférés et Plan-de-Lachat (4 km 500), un projet d’élargissement est en cours d’exécution, [et que] en 1914, sera exécuté l’élargissement entre Plan-de-Lachat et le col [en fait, le tunnel] du Galibier.” Le versant Haut-alpin n’est pas perdu de vue car on peut lire dans la même revue l’entrefilet suivant : “Sur le département des Hautes Alpes, deux sections sont à améliorer, l’une entre le col du Galibier et le Lautaret, l’autre entre Mont-Dauphin et le col de Vars. L’amélioration de ces deux sections sera commencée au printemps prochain.” Mais là, pour le Galibier, ce sera une autre affaire…
La guerre a probablement retardé ou stoppé certains projets. On trouve un nouvel état des lieux, très complet, dans la revue du T. C. F. de février 1921, qui mérite d’être cité en entier : “Les travaux d’élargissement entre la barricade des pestiférés et le chemin des Mottais [piste des Rochilles, à proximité de Plan Lachat], approuvés le 23 mai 1913, ont été terminés en 1915. Le projet d’élargissement entre le chemin des Mottais et le col du Galibier est à l’étude. Dans les Hautes Alpes, un projet de revêtement du tunnel (90.000 fr.), approuvé le 23 mars 1914, est en cours d’exécution et sera terminé cette année. Des études se poursuivent en vue de la préparation du projet d’élargissement [admirons la prudence (justifiée) de cette formulation !] du chemin de grande communication N° 3 entre le col du Galibier et le chalet de la Mandette. Il reste à faire le lever du plan parcellaire. Un projet de construction de la route N° 212 entre le chalet de la Mandette et le col de Lautaret a été approuvé le 11 juin 1913. Mais l’adjudication n’a pu avoir lieu et l’affaire est encore en suspens, en raison de difficultés soulevées par le Conseil Général des Hautes Alpes, au sujet de la remise à l’État des terrains nécessaires à l’exécution des travaux.”
Sur le plan technique, on a donc renoncé à aménager “sur place” la partie comprise entre la route du Lautaret et la Mandette. Pour faire plus large et moins pentu, on envisage le tracé déjà plusieurs fois évoqué (revoilà la deuxième option de 1875), qui préfigure en partie le projet des années 30. Mais apparemment sans début d’exécution, car on bute encore sur les mêmes obstacles qu’en 1875.
On note un petit intermède à la fin des années 20, dans lequel le T. C. F. a joué un rôle important : une fois le tunnel percé, la route qui passait au col géographique ne servait plus à grand chose. Et, comme on peut le lire dans le “Guide du secteur du 3e bis groupe alpin” (sans date d’édition, probablement autour de 1900) : “Depuis le percement du tunnel, la route qui passait par le col n’est plus entretenue entre le tunnel et le col lui-même“. Elle ne figure d’ailleurs plus qu’en pointillés sur la carte correspondante que nous reproduisons ci-dessous.
Carte militaire du Galibier (guide de secteur, vers 1900)
Mais sa résurrection est proche : nous apprenons, dans la revue du T. C. F. de février 1927, que son Comité des routes a décidé l’octroi ” [d’] une somme de 5.000 francs pour l’amélioration de la route d’accès au col du Galibier, sous condition que les automobiles puissent tourner au point extrême de la route et que le croisement puisse se faire facilement.” Et l’affaire est rondement menée puisque nous pouvons lire, dans la revue d’octobre :
“Nous sommes informés par M. Raul, ingénieur des Travaux Publics de l’État à Briançon, que les travaux d’aménagement de la route donnant accès à la table d’orientation du Galibier sont aujourd’hui terminés. Grâce à cette amélioration, à laquelle le T. C. F. a contribué pour une somme de 5000 francs, les voitures qui jusqu’ici ne passaient que par le tunnel peuvent désormais monter au dessus de ce tunnel et atteindre le sommet même du col du Galibier, où se trouve la table d’orientation (…)”. De plus, le T. C. F. ne s’arrête pas en si bon chemin. En décembre de la même année, nous apprenons que son Comité des routes a décidé d’allouer “12.000 francs pour la continuation dans la direction de Valloire de la route passant au dessus du tunnel du Galibier, sous condition que cette route soit dénommée “Route du Touring-club” et signalisée en conséquence.” Le “sponsoring” du T. C. F. n’était donc pas totalement désintéressé.
Voilà donc le col géographique du Galibier devenu routier pour la deuxième fois de son existence. Il semble d’ailleurs que la route originelle, bien que plus entretenue, n’ait eu besoin que d’aménagements. Et voilà pourquoi, bien longtemps après le percement du tunnel, on aperçoit sur des cartes postales des traces nettes de route accédant au col (la carte postale précédente date probablement des années 40). Mais ce ne sont-là que des péripéties. On va maintenant devoir s’attaquer aux vrais problèmes…
La nouvelle route du col du Galibier
La circulation automobile se développe, les autocars augmentent de volume et sont de plus en plus nombreux. À la fin des années vingt, la situation est devenue intenable. Dans sa revue de mars 1930, le T. C. F. donne l’information suivante (que nous citons fidèlement, laissant au lecteur le soin de rectifier certains chiffres inexacts) : “On doit très prochainement procéder à la rectification du tracé de cette route entre le tunnel du Galibier et le Lautaret. Cette section de 5 km 1/2 [longueur de la seule portion hors route du Lautaret] , étroite, aux lacets serrés, avec des pentes variant de 9 à 14 p. cent sera remplacée par une nouvelle route de 7 mètres de plateforme qui, partant de l’hospice du Lautaret (2075 m.) rejoindra le tunnel du Galibier (2645 m.) par une montée de 8 km à 5 p. cent. Le Touring-club se félicite de cette modification (…)”.
Le versant savoyard pose aussi des problèmes : “Sur 7 km. environ, entre le tunnel du Galibier et Plan Lachat, la route est en effet assez étroite (sa largeur en certains points ne dépasse guère 3 m.) et assez inclinée (10 à 13 p. cent) pour que la circulation y soit difficile. Les croisements surtout y sont ardus, en particulier ceux des autocars qui, en été, circulent en grand nombre sur la route des Alpes.” Léon Auscher, président du Comité des Routes et de la Circulation du T. C. F., s’adresse directement à M. Colson, Directeur (national) de la Voirie Routière, pour plaider en faveur d’aménagements. Ce dernier lui répond peu après qu’il est heureux de l’informer que “par décision de ce jour, Monsieur le Ministre des Travaux Publics vient d’approuver un projet d’aménagement de refuges et de garages dans les lacets de la section de la route des Alpes comprise entre Plan Lachat et le tunnel du Galibier.” D’autres aménagements mineurs ont eu lieu.
Nous n’avons pas de renseignements sur la date du “premier coup de pioche” concernant la nouvelle route. En revanche, le T. C. F. a suivi de près les péripéties de sa mise en service. Dans la revue de juillet 1935, on annonce l’achèvement de la route : “À la vieille route du Galibier [suit un rappel de ses inconvénients], se trouve désormais substituée une nouvelle route au profil étudié qui, partant du col même du Lautaret à 2050 mètres d’altitude, s’élève progressivement, par une suite de courbes à grand rayon, sur le versant opposé, pour rejoindre l’ancienne route, à l’altitude 2550, après un parcours de 7 kilomètres, à l’entrée sud du tunnel qui franchit le col du Galibier. Voilà donc une route de grande circulation rectifiée conformément aux exigences du trafic moderne.” On apprend en outre que “La route d’Ailefroide au Pré de Madame Carle et la nouvelle route du Galibier seront inaugurées solennellement les 3 et 4 août prochains.”
Les deux routes du Galibier (versant sud) en 1935
Mais dès le mois suivant, il faut déchanter : sous le titre “L’homme propose, les éléments disposent”, un article de la Revue fait savoir qu’il va falloir attendre un peu. En effet, les derniers travaux à effectuer n’étaient pas encore commencés le 1er juillet, en raison de l’enneigement exceptionnel de l’année. D’autre part, on a constaté d’importants mouvements de terrain dans certaines parties encore mal stabilisées. L’inauguration ne pouvait donc pas avoir lieu comme prévu. Dans la revue du T. C. F. d’octobre 1936, nous apprenons que, en raison des problèmes évoqués précédemment, la nouvelle route n’a finalement été inaugurée et ouverte à la circulation qu’en Juillet de cette année-là. La réalité de cette ouverture est corroborée par l’information suivante, concernant la même année, donnée dans cette même revue : “Au cours de ses brèves vacances au château de Vizille, M. Albert Lebrun, président de la République, a eu l’occasion de faire dans les Alpes un certain nombre d’excursions dépourvues de tout apparat protocolaire (…) Le jeudi 27 août [1936], M. A. Lebrun monta du col du Lautaret au Galibier par la nouvelle route.” La vue précédente est une photo prise et transmise au Touring-club par M. Canova, l’entrepreneur chargé des travaux. Elle a été le sujet de nombreuses cartes postales à l’époque.
Scan historique de 1950 (© IGN)
On pourrait penser que l’ancienne route allait être instantanément oubliée et disparaître petit à petit. En fait, ce ne fut pas le cas, car elle n’avait pas que des inconvénients. Tout d’abord, elle conservait une utilité locale. En outre, d’un point de vue pratique, elle était beaucoup mieux exposée que la nouvelle et moins sujette aux avalanches et aux éboulements. Des écrits de l’époque nous apprennent d’ailleurs qu’il était envisagé de la maintenir en état en prévision d’hivers très neigeux. L’ouvrage militaire cité plus haut indique que la réparation des coulées de terre qui se produisent parfois est facile. En 1979 nous avons pu constater que la chaussée n’était complètement recouverte par un petit éboulis que sur une trentaine de mètres. Les autos pas trop délicates des alpagistes pouvaient l’utiliser, au moins en partie. La fonctionnalité “remonter le temps ” de l’IGN nous permet de constater que sur la carte ci-dessus datée de 1950, on ne fait pas de différence, du point de vue de la figuration des routes, entre l’ancienne et la nouvelle (ce qui peut surprendre aujourd’hui).
Les routes du col du Galibier et les cyclistes
L’ordre chronologique impose de commencer par le cyclotourisme.
Dès la fin du 19ème siècle, des cyclistes investissent le col du Galibier (il est même probable que certains n’aient pas attendu l’ouverture de la route pour le franchir). En témoignent plusieurs guides, rédigés principalement à leur intention. Dans la première édition (1898) de leurs célèbres "Itinéraires avec profils des pentes", H. Dolin et E. Revel nous livrent leur appréciation sur la route du Galibier : “Route très étroite et médiocre de Plan Lacha au tunnel du Galibier ; très médiocre du tunnel au hameau de la Mandette ; mauvaise de la Mandette à la route de Briançon.” Et nous avons là un jugement de cycliste, car on sait que Dolin utilisait sa bicyclette pour mesurer les distances. Les premiers ouvrages de Dolin et Revel concernaient la Savoie, mais les dauphinois n’étaient pas en reste. En 1899 paraît un livret dans le même style, rédigé par le montagnard et écrivain grenoblois Henri Ferrand. Il est basé sur des données et graphiques communiqués par “MM. les ingénieurs des Ponts et Chaussées, MM. les agents voyers en chef et leurs agents de l’Isère et des départements voisins.” Grâce à ces documents, l’ouvrage est remarquablement précis. En voici un extrait concernant le versant dauphinois du Galibier :
Sur chacune des portions délimitées par les pointillés verticaux, les chiffres au dessus du trait horizontal inférieur donnent le pourcentage de la pente, et les chiffres placés au dessous du trait indiquent la longueur en mètres de la portion concernée. Les lacets et leur position sont signalés. La vieille route comme si vous y étiez, la fatigue en moins !
Dans un autre style, le volume “Dauphiné et Savoie” publié en 1899 par A. de Baroncelli dans sa série des "Guides vélocipédiques régionaux" , mérite aussi d’être mentionné. Bien que moins précis, il donne des informations et des conseils intéressants. À propos de notre col, il écrit “Cette route, des plus intéressantes, présente six kil. d’ascension très dure entre le col du Lautaret et le col du Galibier. De l’autre côté du col du Galibier, descente dangereuse, longue de sept kil., sur mauvais terrain. Les cyclistes exercés, ayant deux bons freins à leur machine, pourront seuls l’effectuer en partie, deux ou trois kil. devant être faits à pied. Au bas de cette descente rapide, la pente s’adoucit et le sol s’améliore“. Baroncelli mentionne aussi le service de breaks signalé par Coolidge mais, ajoute-t-il, “il n’est guère facile de placer sûrement sa machine à l’arrière de la voiture“.
Les récits de passage du col par des cyclistes sont nombreux. Un de nos préférés est celui de Georges Grillot, que l’on pourra lire dans “La Pédale” du 23 août 1928 (numérisé par la BNF).
Puisque cet article est hébergé par le site des “Cyclotouristes Grenoblois”, aujourd’hui organisateurs du Brevet de Randonneur des Alpes, on ne peut manquer d’observer que la naissance de ce brevet et celle de la nouvelle route du Galibier furent, à quelques jours près, concomitantes. Voici la chronologie des évènements, telle qu’on peut la suivre dans la presse locale :
— Le 9 juin 1936, le “Petit Dauphinois” publie un véritable “acte de naissance du B. R. A.”, brevet imaginé et créé par Gustave Darchieux, alors membre du “Vélo touristique grenoblois”. L’épreuve doit avoir lieu le 5 juillet.
— le 25 juin, un nouvel article de ce quotidien précise que “Les randonneurs emprunteront la nouvelle route qui, du Lautaret, mène au célèbre col alpin. La route sera déblayée.”
— le 1er juillet, le même journal informe les candidats randonneurs que “Par suite de l’impraticabilité de la route du Galibier (éboulements, neige), cette épreuve qui devait se dérouler dimanche prochain 5 juillet est reportée au dimanche 19 juillet.”
— le 19 Juillet (le jour même du B. R. A.), le “Petit Dauphinois” annonce la mauvaise nouvelle : “(…) Ce premier col [le Lautaret] franchi, il faudra gravir l’ancienne route – la nouvelle n’étant pas déblayée – avec ses passages à 17 %.” Il est fort probable, en raison du manque de moyens de communication rapides à l’époque, que beaucoup de randonneurs n’aient appris la nouvelle qu’ au départ.
Quelques jours seulement après ce B. R. A. inaugural, la nouvelle route était ouverte à la circulation. En 1937, le B. R. A. l’emprunte, comme nous le confirme le récit de Paul Maillet. Par la suite, nous n’avons pas trouvé, dans les annonces des B. R. A. , d’allusion à la route utilisée pour passer le Galibier. La question ne se posait donc plus, et personne n’a jamais semblé regretter la Mandette.
En ce qui concerne le Tour de France, les choses furent un peu différentes.
Les coureurs du Tour de 1922 sur l’ancienne route par la Mandette (© Le Miroir des Sports)
On sait que le premier franchissement du col par les coureurs du Tour de 1911 (donc longtemps après les premiers cyclos) fut abondamment relaté par la presse de l’époque, qui le présenta comme un évènement considérable. Par la suite, le passage du Galibier fut pendant longtemps regardé comme un épisode majeur du Tour. Et ce passage, jusqu’en 1936 inclus, se faisait par l’ancienne route. La photo ci-dessus nous montre “le peloton de tête derrière Sellier dans le Galibier” (Le Miroir des Sports, 20 juillet 1922). Cela n’a pas l’air facile. Ne risquait-on pas affadir l’épreuve en utilisant le nouvel itinéraire ? En 1937, le Tour monte côté nord et descend par la nouvelle route. Pour 1938, on annonce dans un premier temps qu’on utilisera “l’ancien sens” (anti-horaire). Puis, pendant l’été 1937, on change d’avis.
En 1938, les coureurs du Tour sur la nouvelle route du Galibier (© Le Miroir des Sports)
Suivant un journaliste, c’est en raison du fait que “la nouvelle route du Lautaret au Galibier est tellement bonne et d’un pourcentage moyen si peu élevé que le fameux col géant, qui est une des poutres maîtresses du Tour de France, n’aurait plus aucune signification” (Le Miroir des Sports, 6 juillet 1937). Il y aura ensuite un nouveau revirement, puisqu’on montera finalement du côté sud, et par la nouvelle route. La raison n’en est pas précisée. Un chroniqueur sportif nous fait part de ses regrets : “Hélas, et bien entendu je me place ici uniquement au point de vue sportif, ce brave Galibier, pris dans le sens de cette année, n’a plus rien de gigantesque. L’ancien petit sentier étroit et rocailleux, montant en lacets très raides avec des virages aigus, qui étaient la terreur des automobilistes, a été remplacé par une magnifique route stratégique, large, bien dessinée, et au sol parfaitement goudronné. La nouvelle route étant plus longue que l’autre, le pourcentage est évidemment moins élevé et, en définitive, le Galibier ne constitue plus, comme jadis, un obstacle terrifiant” (Le Miroir des Sports, 26 juillet 1938).
Les coureurs du Tour de 1939 montent au Galibier par la nouvelle route (© Le Miroir des Sports)
À lire la presse locale, nous avons pu croire que le Tour de 1939 retrouverait l’ancienne route. En effet, voici la portion concernée du parcours Briançon-Bonneval, décrite dans Le Petit Dauphinois du 26 juillet : “Saint Chaffrey (4)(…), tournant de la route du Galibier (25), la Mandette (28), col du Galibier (31) (…)”. Les lieux et le kilométrage indiqués caractérisent l’ancienne route. Il s’agit sans doute d’une erreur, car la photo ci-dessus, publiée dans le Miroir des Sports du 29 juillet, nous montre les coureurs à l’œuvre sur la nouvelle, au-dessus du Lautaret. Il faut dire que les véhicules que l’on voit suivre le peloton sur la photo ci-contre auraient eu du mal à négocier les lacets serrés et pentus de l’ancienne !
Sur l’ancienne route, en 2012 (© Cicloalpinismo.com)
Mais la route de la Mandette, plus ou moins dégradée par endroits, est toujours là. Vous pourrez en trouver une dizaine de photos récentes ici. Elle est notamment utilisée par des vététistes, de préférence dans le sens de la descente. Mais il arrive encore que certains courageux, en particulier ceux qui participent à l’Ultra Raid de la Meije, l’empruntent dans le sens de la montée. Ainsi que ceux qu’on peut voir sur la photo ci-contre effectuer leur tour du Galibier (ringraziamo Bobo Santi), ou encore de simples cyclotouristes curieux, sur les traces des “forçats de la route” des temps héroïques…
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