Juillet 2017, BRA dessus, BRA dessous, les noces d’or de Christian
Avec son ami François TARTARIN pour témoin de noce, Christian VIDEAU rêvait pour ses 70 ans, à ce rendez vous avec le BRA, 50 ans après son 1er qui se déroula le samedi 12 août 1967 en clôture de la semaine fédérale de Grenoble.
Certes, le BRA 1967 se déroulait en sens inverse de celui de 2017, mais qu’importe, ce rendez vous avec le Galibier Christian et François l’imaginèrent de façon magistrale !
Cher lecteur, si vous avez la chance d’être abonné à la revue CYCLOTOURISME de la FFCT, vous savez tout sur le déroulement de cette aventure, qui a reçue de la part du jury FFCT , le prix d’excellence “Charles Antonin 2018” .
Pour les autres, et avec la permission de son auteur François TARTARIN, je vous cite les principaux passages du récit qui retrace la conception, puis l’accouchement d’un rêve.
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Deux ascensions du Galibier en 3 jours, cette excentricité a germé l’hiver dernier dans le cerveau du Grand (le grand c’est le surnom de Christian VIDEAU). A cause de lui, nous sommes là ce soir dans cet hôtel de Maurienne, à 6 ou 7 km de notre prochain rendez vous avec le Télégraphe, des interrogations plein la tête.
Notre flèche de cette année, ça pourrait être Paris-Briançon…et Briançon c’est tout près de Grenoble…
Tu seras peut être tenté ensuite par le BRA... me glissait le Grand dans la conversation vers la fin de l’année 2016 ?
Le Grand, 70 ans cette année, voue une passion à l’histoire et aux dates. Depuis belle lurette, l’envie le taraude de participer à l’édition 2017 du BRA, pour fêter dignement le cinquantième anniversaire de son 1er BRA.
Il me le raconte comme s’il l’avait effectué la veille et ses yeux brillent à la seule évocation de cette journée.
Le Grand n’a pas encore tiré de son carquois toutes les flèches de France. Dans celles qu’il lui manque figure Paris-Briançon. C’est une promenade qui à peu de chose près conduit en Dauphiné. En considérant avec attention le calendrier, on mesure qu’en atteignant Briançon le vendredi à midi, on dispose du temps nécessaire (si une automobile accueillante se présente) pour rallier Vizille et consacrer son W.E à la trilogie Croix de Fer – Télégraphe – Galibier.
Le seul nom de Paris-Briançon, 773 km à boucler en 6 jours, est une invitation au rêve. On le fait tourner en bouche comme une gorgée d’un bon vin. Notre Flèche va ressembler à une procession vers le Galibier, un compte à rebours avant le cinquantenaire du BRA 1967.
Les invitations de l’Audax Club Parisien et des cyclotouristes Grenoblois nous procurent un double rendez vous à 2642 m, avec un millier de kilomètres à la clé. Nous irons notre bonhomme de chemin cyclo, nous musarderons dans la pente par goût, mais aussi parce que les pourcentages ne nous en laisseront pas le choix…
La mémoire du BRA recèle quelques rendez vous homériques avec les neiges du Galibier. La montagne nous ramène toujours cependant à l’évocation des exploits et à la souffrance des champions. De tous les cols des Alpes, le Galibier est celui qui a donné le plus souvent rendez vous au tour de France.
BRA 2009 dans le Galibier
Si vous voulez vous imprégner des exploits de nos champions, relisez “la grande histoire du tour de France 1947 -1956 éditions l’Equipe Cobra 2010” .
Un homme prévenu en vaut 2, alors le grand et moi nous voyagerons tous les deux. Me voici compagnon de route, premier lieutenant, coéquipier, co-processionnaire !
Gare à ne pas prendre cette mission à la légère, car mon camarade, lui, s’est depuis longtemps imprégné de son sujet. Un mois avant le départ, il m’a adressé la liste des hôtels qu’il venait de réserver. “Celui de la veille de l’arrivée te plaira” m’écrit -il dans le message qui accompagne le tableau des étapes. Il fait allusion à VALLOIRE. Nous nous arrêterons au “relais du Galibier”. Pour l’originalité du nom on repassera, mais le Grand est tout heureux rien qu’à l’idée de passer à pareille enseigne la dernière nuit de la flèche. La dernière nuit avant notre double rendez vous avec le Galibier…
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Cette mise en jambes de 773 km en autonomie a commencé à Draveil (banlieue Parisienne) le dimanche matin 16 juillet 2017, pour s’achever le vendredi 21 à la mi-journée à Briançon.
Dans les lignes qui suivent, François TARTARIN vous raconte son “BAC plus ” (cols de la Croix de Fer, du Mollard, du Télégraphe, du Galibier) au départ de Vizille les 22 et 23 juillet 2017, BRA-dessus, Bra-dessous avec son ami Christian VIDEAU.
Vélo – Amitié et Fantaisie… il ne pouvait pas y avoir meilleure célébration pour des noces d’or !
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Le retour de la croix de fer
JOUR 7 / SAMEDI 22 JUILLET
Vizille (Isère) – Saint-Julien-Montdenis (Savoie)
Dans le parc du château de Vizille, les violentes pluies de la veille ont projeté au sol leurs stigmates encore visibles. Les orages ont occasionné des dégâts dans toute l’agglomération de Grenoble. Vizille fait partie des communes les plus touchées.
Changement de décor ce samedi matin, cependant : nous remontons doucement la Romanche sur des routes sèches. Quelques petits paquets de brume ouatée flottent au-dessus de la vallée. Le soleil va les dissiper. Il fera beau. Égaillés dès les premiers pourcentages, les cyclos du Brevet alpin font tomber coupe-vent et manches longues au-dessus du barrage des Verneys, dans les pentes qui conduisent au ravitaillement du Rivier d’Allemont.
Nous avançons prudemment. Des roues passent et dépassent, que nous ne prenons pas. Un nouveau Galibier nous attend demain. Nous abordons avec des précautions de débutants notre double rendez-vous d’aujourd’hui avec Croix de Fer et Mollard.
D’abord, il convient de surmonter les 800 mètres de dénivelée qui nous séparent du premier. Kilomètre après kilomètre, les pourcentages se succèdent, exigeants : 8 %, 8,4 %, 8,9 %… Le Grand lâche un bref commentaire : « Plus on monte, plus ça monte. » Il a tout dit.
le lac de Grandmaison
Le lac du barrage de Grand-Maison offre plus encore que ses eaux turquoise, au creux des flancs dénudés de la Combe d’Olle. Il nous fait le cadeau de pourcentages adoucis. Cette générosité n’a qu’un temps. La route se relève pour rejoindre le chalet du Glandon, qui se dresse au loin, là-haut, comme un amer de montagne annonçant aux cyclotouristes les trois derniers kilomètres de la Croix de Fer.
Au col, les Aiguilles d’Arves règnent sur le paysage alentour. Le soleil s’est dissimulé. Les esprits sont tournés vers Saint-Jean-d’Arves où nous attend le repas. La croix du col suscite le détour de beaucoup, cyclos, randonneurs sac au dos, motards en cuir ou, « en civil », occupants des voitures, motivés par la perspective de la photo-souvenir. Le cliché vaut de l’or, au pied de la croix de fer à laquelle le col – l’ancien col d’Olle – doit son nom.
Il y a sept mois presque jour pour jour – le premier jour de l’hiver, en décembre 2016 – la croix a été vandalisée, précipitée à terre par des imbéciles. Brisée en deux, cette « merveille sacrée d’architecture savoyarde », ainsi que la nomme Jules Arnaud, le président des Cyclotouristes Grenoblois, avait été récupérée par la mairie de Saint-Sorlin. Sa destruction avait suscité une vive émotion dans les Arves. Le Dauphiné Libéré s’interrogeait : « Que deviendrait le col sans sa croix de fer, qui annonçait pour des millions de cyclistes qui l’empruntent depuis des lustres la fin d’un long calvaire ? » Notre ascension a été longue, elle a réclamé de la patience et des petits braquets, mais, cher Dauphiné, elle n’a pas été un calvaire, et des « millions » de cyclotouristes te diront heureusement la même chose.
Pour notre plus grand bonheur, Saint-Sorlin a refusé que les vandales aient le dernier mot. La croix restaurée a retrouvé sa place au col et veille sur le passage du BRA. Nos photos-souvenir sont sauves.
la croix de fer dominant le col du Glandon
Il reste une ultime formalité avant de rêver ce soir à la conclusion du brevet du Grand, son « BRA du cinquantenaire » : le col du Mollard… Mais il n’a rien d’une formalité. Depuis le pont de Belleville, il n’est long que de 6 kilomètres. Mais ce sont des kilomètres compliqués. Ils se cabrent en paliers irréguliers. Une formule vient à l’esprit : « Casse-pattes ! »
À la sortie du hameau du Mollard, un nouveau point de vue se présente, qui permet de saluer une nouvelle fois les Aiguilles d’Arves. Le Grand se rappelle être monté ici depuis Villargondran, il y a quelques années. C’était une ascension de 16 kilomètres, un plat bien plus épicé.
De retour dans la vallée de la Maurienne, nous dénichons notre hôtel à Saint-Julien-Montdenis, au prix d’une recherche hasardeuse. L’autoroute et la départementale sont proches, mais le bourg est tranquille. Peut-être ne s’agit-il que d’une paix provisoire : Saint-Julien place de grands espoirs dans la future liaison ferroviaire Lyon-Turin, projet controversé. La ligne devra perforer la montagne sur 52 kilomètres de long. Le chantier a été lancé en 2014. L’entrée du tunnel, côté français, se situera sur le territoire de la commune… si l’entreprise est menée à son terme.
village d’Albiez Montrond sous le col du Mollard
En soirée, nos spéculations sur le temps du lendemain vont bon train. La météo fait état de possibles orages. Dans la chambre, notre échange prend un tour surréaliste.
« Il vaudrait mieux échapper aux orages, s’inquiète le Grand. Il n’a pas plu depuis longtemps, la route peut glisser. J’aurais préféré avoir ce temps-là mardi plutôt que demain dans les cols. »
Les orages, en ce qui me concerne, c’est ni mardi ni un autre jour ! Je signe pour leur échapper et rester au sec…
Mais, mardi, on n’aurait pas été mouillés ! On se serait abrités et on aurait attendu que ça passe… »
Le téléviseur demeure éteint, la conversation s’abrège. C’est dans ce climat d’incertitude météorologique que survient l’extinction des feux, de bonne heure. Demain, le Grand a rendez-vous avec « son » Galibier.
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Une remontée du temps et du Galibier
JOUR 8 / DIMANCHE 23 JUILLET
Saint-Julien-Montdenis (Savoie) – Vizille (Isère)
La Maurienne s’éveille sous une de ces lumières qu’on n’aime pas lui voir. Les fumées des usines se perdent dans les nuages bas descendus dans la vallée.
Nous retrouvons les pentes du Télégraphe. La nuit a fini de disperser sur les routes les « paquets » de randonneurs qui se formaient encore hier dans le col de la Croix de Fer. Nous ne rencontrons plus que des petits groupes et des isolés que l’ascension finit de réveiller. Pour rejoindre leur hôtel hier soir, certains ont dû effectuer une nouvelle ascension, une de plus que nous. Je n’ose pas imaginer ce que nous aurions enduré s’il avait fallu grimper à Valmeinier ou à Valloire. En pareil cas, rappelle souvent un vieux camarade, « tout se passe dans la tête » !
plus que 14 km
Nous retrouvons les rues de Valloire. Direction les Verneys où est ouvert un poste de ravitaillement. Je ne sous-estime pas ces premiers kilomètres du Galibier, qui m’ont mal accueilli il y a deux jours. Le soleil est de retour. Les menaces d’orage s’estompent.
Puis l’ascension reprend, celle qui depuis des mois entretient les rêves du Grand. Le Galibier d’avant-hier, ça ne compte pas. Oublié. Le cinquantième anniversaire de son premier BRA, c’est aujourd’hui qu’il le célèbre et qu’il le savoure, à mesure que se présentent les panneaux à l’entrée des hameaux : la Rivine, Bonnenuit, plus tard Plan Lachat…
dans les rampes au dessus de Plan Lachat
Le deuxième Galibier de la semaine ne se livre pas sans combattre. Il déchaîne ce matin contre les cyclotouristes un fort vent hostile, dont la violence se manifeste dans les espaces dégagés, comme la traîtresse pente rectiligne qui précède les Granges du Galibier.
Après les Granges, sous le col, la route épouse la montagne dans un grand arc exposé à toutes les bourrasques. Leur vigueur suscite un défilé de cyclos arc-boutés, contraints au rude effort en danseuse ou réduits à des sur-place de pistards dans un championnat de vitesse. Ce Galibier-là se gagnera à force d’opiniâtreté.
Nous le gagnons ! Nous n’avons pas présumé de nos forces. À notre descente de vélo, nous tenons debout sans avoir besoin de nous agripper à notre guidon.
J’ai droit à la surprise du chef. Le Grand a pris un air mystérieux. Il tire de son sac de guidon sa carte de route du 12 août 1967, « départ à 3 h, 246 km, numéro 612 » (à l’époque, ce numéro est aussi porté en gros chiffres noirs sur la plaque de cadre). De mon propre sac de guidon, j’ai extirpé l’appareil photo, bien sûr.
le Grand et sa carte de route BRA 1967 bien conservée
Le Grand peut entrevoir la réussite de son défi. Son visage se fend d’un large sourire. Il est aux anges. On se tombe dans les bras.
Autour de nous, chacun est à ses photos, à la contemplation du paysage ou au commentaire du temps mis à monter. Personne ne paraît mesurer que le Grand qui vient de se hisser là avec sa bécane d’un autre temps, avec son sac de guidon en toile et cuir et ses garde-boue comme dans un film de Jacques Tati, personne, donc, ne paraît mesurer qu’il était déjà là il y a cinquante ans.
Un inscrit au BRA, parti de Vizille de bonne heure ce matin, raconte sa nuit écourtée, dans les chambres du lycée près de la permanence, « réquisitionné » par les cyclos de Grenoble. Il explique que le spectacle des fêtes révolutionnaires, annulé vendredi en raison des orages, s’est déroulé normalement hier soir. C’était un « show musiques live et son et lumière », commencé à 22 heures dans le parc du château. Dans leurs chambres du lycée, les cyclos n’ont pas manqué un seul décibel de cette longue soirée sonore. Certains n’y ont pas trouvé leur content de sommeil, avant d’émerger du lit à 2 ou 3 heures.
Ce témoignage mis à part, la suite nous paraîtrait maintenant presque sans histoire. Quatre-vingts kilomètres encore. Le boulevard de la descente du Lautaret, les trains de cyclos pressés de rentrer qui s’allongent au fur et à mesure que diminue l’altitude, tout cela pourrait relever du déjà vu, du commun des sorties nerveuses, n’était la magie du spectacle offert par les glaciers de la Meije, par-dessus La Grave.
au dessus du col du Lautaret , vue sur le massif de la Meije
La route de secours sur la rive sud du lac du Chambon nous épargne le tunnel en travaux et le trafic automobile. Le bas de la route de L’Alpe-d’Huez renvoie beaucoup d’entre nous à des souvenirs chers, ou peut-être cuisants. Après la dernière pause au ravitaillement de Bourg-d’Oisans défilent Rochetaillée, la Tête de Louis XVI, Rioupéroux puis Séchilienne. L’heure est à l’euphorie des retours dans la vallée. Les cols ont ralenti les tours de manivelles. À cette heure, on dirait que certains pédalent plus vite encore pour effacer ce souvenir.
Nous goûtons avec tous notre part de cette euphorie. Il s’y ajoute une joie plus discrète, celle de ces huit jours qui s’achèvent avec la réalisation du rêve du Grand.
Nous atteignons le parc du château de Vizille. Le Grand fait défiler des images de 1967. Son premier BRA s’achevait au siège des Cyclotouristes Grenoblois, le café du Rocher à Grenoble. Au 1, place de la Bastille, adresse historique s’il en est. Nous remontons le temps lorsque nous atteignons les abords du château de Vizille, le site des Etats généraux du Dauphiné en 1788.
Nous avons l’habitude ! Remonter le temps, en parcourant un demi-siècle des souvenirs d’un cyclotouriste, c’est ce que nous venons de faire pendant huit journées de route.
François TARTARIN (lauréat grand prix Charles ANTONIN FFCT 2018)
panorama sur la Maurienne depuis le Galibier alt 2642 m
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