Souvenirs souvenirs d’un BRA …par Alain VIGUIER
14 juillet 1973… ou le B.R.A avant la fête… souvenirs, souvenirs, d’un B.R.A vécu, par Alain VIGUIER vice – Président des Cyclotouristes Grenoblois
(extrait de « cyclophiles-touristes-gastronomes » journal des C.T.G., octobre 1973)
Parc de l’anneau de vitesse à Grenoble – boulevard Clémenceau – il est 2 h du matin, une quinzaine de C.T.G s’enfoncent dans la nuit pour la fameuse randonnée alpestre. Chargés de l’organisation du 27ème B.R.A qui se déroulera le dimanche 22 juillet 1973, nous avons décidés d’utiliser le jour de la prise de la Bastille pour faire « notre B.R.A », et partir à l’assaut d’autres sommets… Le ciel est nuageux, mais comme la météo annonçait la veille un soleil éclatant sur les Alpes, nous ne nous faisons guère de soucis.
Derrière le tandem de Jacques et Isabelle, qui ouvre la route avec son puissant éclairage, nous suivons tranquillement, décorés de notre brassard rouge et blanc, à qui il ne manque que le bleu pour être de circonstance… Nous chercherons d’ailleurs cette couleur vainement toute la journée.
En effet, alors qu’un parfum particulier nous apprend qu’il va falloir prendre garde aux rails du passage à niveau de Jarrie, quelques gouttes de pluie viennent brutalement changer l’ambiance qui règne dans le peloton, qui jusque-là, était à la gaieté. Les conversations cessent, et chacun scrute le ciel qui reste d’encre.
Sans mot dire, nous pédalons dans le chuintement caressant des roues libres, auquel viendra s’ajouter, quelques minutes plus tard, le sifflement des pneus sur la chaussée détrempée. Car il pleut, et de plus en plus, et en moi-même, je commence sérieusement à songer à faire demi-tour. La perspective de couvrir quelques 250 km sous la pluie n’est guère réjouissante, surtout que, coupable erreur, je n’ai pas pris mon imperméable, ayant fait confiance à cette sacrée météo !
Quelques kilomètres avant Rochetaillée, la pluie cesse enfin et la confiance renaît. Les conversations reprennent et Bob assure qu’il vient de voir une étoile… Premier arrêt à Allemont, il est 4 heures. Une large déchirure dans les nuages laisse apparaître l’aube qui monte derrière le massif des Grandes Rousses. Cette fois nous y croyons, il fera beau ! Tout le monde repart vers la première difficulté de la journée, le col de la Croix de Fer .
Le peloton s’étire rapidement, les jeunes grimpeurs devant, commencent à libérer leur trop plein d’énergie. Ils découvriront par la suite, qu’ils n’en avaient pourtant pas de trop !
Voulant profiter au maximum de l’agrément du moment, je préfère pour ma part, monter en compagnie d’Edith et Chantal, dont l’efficacité du coup de pédale ne nuit en rien au charme féminin.
Les premières pentes sont dures et le petit plateau est tout de suite utilisé. Edith décroche quelque peu, mais elle monte à son rythme et de toute la journée, son ineffable sourire ne la quittera.
D’un coup, une machine à pédaler nous double, c’est Jules, parti à 3 h, il disparaît rapidement dans les lacets sur un braquet impressionnant, quelle santé !
Je reste seul avec Chantal, et au milieu du magnifique décor que le jour naissant nous dévoile, je comprends subitement, en admirant la pédalée facile de ma compagne, le vrai sens de l’appellation « petite reine ». Malheureusement, je suis vite obligé de revenir à la réalité, nous sommes à environ 7 km du sommet, l’étoile de Bob s’est éteinte et de nouveau c’est l’averse…
Nous arrivons trempés au col de la Croix de Fer, heureux toutefois, d’aller nous réchauffer au chalet de Marie-Louise MILLIEX, devant une tasse de thé très appréciée !
Depuis une demi-heure, alors que tout le monde est arrivé, il manque Bob à l’appel, sans doute retardé à épier les astres ? Il arrivera pourtant, mais déjà marqué par cette première ascension. N’ayant pu s’entraîner normalement, et ayant accumulé quelques kilos de trop, notre président n’est visiblement pas en état de poursuivre. Par contre, il lui reste assez d’énergie pour sermonner ceux qui parlent d’abandonner ! Je profite honteusement de l’abandon de Bob pour lui subtiliser son imperméable…
Ainsi nanti et avec un journal sur la poitrine, la descente vers St Jean de Maurienne est acceptable, surtout que vers le bas le soleil semble enfin disposé à se montrer.
Dans la vallée, au confluent de l‘Arvan et de l’Arc, nous retrouvons deux voitures, dans lesquelles se sont entassées les parties non pédalantes des familles COQUELET , PENON, VIGUIER.
Après un arrêt très prolongé, dû à l’attente de quelques égarés, nous repartons vers St Michel de Maurienne, ou après un casse-croûte frugal nous attaquons le col du Télégraphe. Il fait presque beau et chacun a retrouvé son optimisme. Hélas, une averse au sommet viendra quelque peu tempérer cette ardeur….
Enfin, nous entrons dans VALLOIRE, il n’est pas loin de midi, et c’est un nouvel arrêt. Nous en profitons pour mettre du baume sur les jambes, et de l’huile sur les chaînes, qui après ces arrosages successifs, ont gémi dans la dernière ascension ! Pendant que je sacrifie à cette opération, un groupe de touristes vient me questionner sur nos braquets et notre itinéraire. A la description de ce dernier, je lis dans les yeux qui m’entourent, la stupéfaction, l’admiration, peut-être même le doute… et là ma modestie en prend un coup, car je dois avouer que je ne suis pas mécontent, ressentant même un petit pincement au cœur pas désagréable !
Après avoir apprécié le défilé traditionnel de ce très beau village de montagne, nous nous élançons vers ce fameux col du Galibier, plat de résistance de la journée en quelque sorte… Nous avons décidé de faire une nouvelle pause à Plan-Lachat, dans un petit refuge – restaurant et jusqu’à ce nouveau point de ralliement, c’est le même processus, l’étalement des valeurs en montagne se répétant, Jules survolant tout le monde, et toujours très à l’aise en altitude.
Les jeunes sont quant à eux assez marqués, et même Jean-Luc qui a très bien grimpé, me confie qu’il ne comprend pas comment il peut se trouver en France et à l’étranger, un millier d’ abrutis qui paient et se déplacent pour faire un truc pareil ! ! !
Dans la petite salle sombre, nous nous entassons tant bien que mal, et nous nous ravitaillons posément (pâtes, omelettes, bières et jus de fruits, café, etc…).
Après cette halte bienfaitrice, il nous faut repartir, et atteindre en 8 km le Galibier que l’on devine perdu dans la brume. J’ai mal aux genoux, mais je me sens bien, et gravis très correctement ces lacets que j’appréhendais beaucoup.
Les derniers kilomètres sont pénibles, la pluie qui a refait son apparition, renforcée du vent (de face comme toujours) et du brouillard, soumettant avec l’altitude, notre organisme à dure épreuve. Au col, bien que tout le monde soit monté, nous enregistrons plusieurs abandons. La perspective d’une descente dans le brouillard glacé, avec des vêtements trempés nous fait dégringoler le moral dans les chaussettes !
Nous ne sommes plus que 7 (sur 15) à reprendre la route ; nos 3 cyclotes qui ont été magnifiques, Edtih, Chantal, et Isabelle sur le tandem avec Jacques son pilote, Jules bien sûr, Jean Yves et moi-même. Comme tous les porteurs de lunettes, je subis un handicap par mauvais temps, et j’ai du mal à suivre le train dans le brouillard et cette pluie qui ne cesse pas ! Je passe les tunnels presque au toucher… mais heureusement, après La Grave, la quiétude renaît, la température est soudain plus clémente, les bielles emmènent allègrement le 52 x 14, nous approchons du but !
Au Bourg d’Oisans, bien calé en queue de peloton, je suis obligé de m’arrêter pour essuyer mes lunettes et me découvrir quelque peu, alors que toute la troupe emmenée par le tandem ne s’aperçoit de rien …Heureusement que Jules, isolé à l’arrière en tentant d’apercevoir vainement La Meije au travers des nuages me rattrape, et c’est dans sa roue que je finirai cette fantastique épopée, en ayant jamais eu autant envie de revoir GRENOBLE !
La récompense est délicieuse, au bar de l’anneau de vitesse vers 18 h devant une bonne bière pression… et la satisfaction d’avoir fait le BRA, pour le plaisir !
Une semaine plus tard, le 22 juillet 1973, il pleut sans interruption sur Grenoble depuis 23 h en ce samedi 21 juillet… Les 600 courageux qui prendront le départ du 27ème B.R.A, sous la pèlerine à 2 h ou 3 h le dimanche 22 juillet, affronteront un violent orage dans l’ascension du col de la Croix de Fer, et seulement 300 téméraires franchiront le gué de la tumultueuse cascade de Maupas.
Chargé de l’ouverture du contrôle d’arrivée, j’ai voulu accompagner quelques amis jusqu’au col de la Croix de Fer.
En redescendant sur Grenoble je rencontre Jacques, un ami C.T.G qui monte tête baissée et la mine dépitée, le vélo à la main. Depuis le départ il a crevé 4 fois, et n’ayant plus rien pour réparer, il espère rencontrer un bon samaritain. Je lui passe ma chambre à air de secours et des rustines.
Un peu plus bas, je croise encore un participant marchant à côté de sa bicyclette, roue arrière à plat. Lisant dans ses yeux une grande inquiétude je m’arrête, et il m’explique qu’il vient de crever il y a quelques centaines de mètres, qu’il a de quoi réparer, mais que sa pompe avait précédemment été emportée par le torrent en furie en franchissant le gué qui fait suite à la cascade en amont du Rivier… Je lui confie ma pompe afin qu’il puisse continuer sa route. Peu à peu l’orage perd de sa vigueur, et tous ces valeureux termineront l’épreuve sous le soleil retrouvé dans le Galibier.
Moralité : dans une randonnée comme le B.R.A, que le journaliste Jean Pierre COPIN qualifiait de « plus grande débauche d’effort entre le lever et le coucher du soleil » toute situation délicate, n’est jamais désespérée… dans une randonnée cyclotouriste, « solidarité » n’est pas un vain mot.
Alain VIGUIER
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